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Les esclaves de Loyola

Les esclaves de Loyola

LA POPULATION

Le nombre d’esclaves affectés au service de Loyola peut être retrouvé à travers les archives. Le recensement de 1707 dénombre 76 esclaves au travail, ce qui marque une évolution par rapport à 1685, où l’atelier en regroupait, au mieux, une cinquantaine. Les recensements de 1717 et 1721 indiquent respectivement 96 esclaves et 110 esclaves au travail, ce qui était très convenable pour faire tourner une sucrerie. Une vingtaine d’années plus tard, en 1737, Loyola compte 199 esclaves valides, tandis que l’habitation adjacente de Mont-Louis en compte 82. Enfin, l’inventaire de 1764 fait état de 496 esclaves à Loyola et à Mont-Louis. Le nombre d’invalides était élevé et le taux de fécondité très bas, ce qui était le lot des esclaves en Guyane.

La présence de quelques esclaves d’origine autochtone dans les recensements de Loyola est surprenante et doit être considérée avec prudence. Il s’agissait peut-être de réfugiés placés sous la protection des pères et on leur confiait, sans doute, des tâches artisanales ou domestiques. L’esclavage des Autochtones a sans cesse été combattu par les jésuites de Guyane, cette question étant au centre de leur stratégie missionnaire.

LE LOGEMENT

À Loyola, le quartier des esclaves prenait l’aspect d’un petit village plutôt que de la voie unique caractéristique de plusieurs habitations des Antilles et désignée sous le nom de rue caz nèg. En 1764, on trouvait 89 ménages répartis en 45 cases. Certains ménages regroupaient jusqu’à dix individus, mais il y avait aussi des couples et des personnes vivant seuls. Les cases devaient donc être divisées en deux logements distincts. L’usage général était pourtant que chaque ménage ait sa case, qu’il soit composé d’une famille nucléaire ou étendue, d’un couple ou d’une personne seule. Ainsi à Mont-Louis, avec une population totale de 78 esclaves, on comptait 18 ménages et 25 cases.

L’ENSEIGNEMENT RELIGIEUX

Dans la deuxième moitié du 17e siècle, les jésuites estiment qu’ils ne peuvent rien changer au système esclavagiste, trop bien implanté dans les mœurs coloniales, mais qu’en évangélisant les esclaves, ils préservent l’essentiel de leur mission, qui est de sauver des âmes. Ils peuvent donc, sans déroger à la religion, utiliser les esclaves, si ceux-ci sont baptisés, instruits et inhumés selon la religion catholique.

On sait que les jésuites ont connu plus de succès dans l’évangélisation des esclaves qu’auprès des Premières Nations, pourtant au cœur de leur projet missionnaire. À Loyola, la chapelle, autant que la maison des pères, dominait l’établissement et le respect des obligations religieuses était une règle fondamentale. Les prières du matin et du soir ouvraient et concluaient la journée de travail, une pratique qui permettait de passer en revue les esclaves et de contrôler les absences. Les manquements aux offices étaient vus comme une forme de rébellion et pouvaient être punis par le fouet.

L’usage de châtiments corporels à l’endroit de leurs esclaves n’empêchait pas les jésuites de défendre les Noirs contre les abus des colons. Ils reprochaient, par exemple, à ces derniers de ne pas respecter le repos dominical, de maltraiter les esclaves sans raison valable et condamnaient les sévices sexuels infligés aux femmes. La mise en ménage des couples était, par ailleurs, un souci constant des religieux. Les mariages étaient favorisés, voire imposés, et la stabilité était de règle. Une cérémonie religieuse consacrait les unions.

Par l’observance des dimanches et des fêtes religieuses, l’Èglise allégeait la tâche des esclaves. Les jours chômés, au nombre de 135, devaient en principe être consacrés au repos et à la prière. Toutefois, les esclaves les passaient souvent à travailler pour leur propre compte ou à se distraire. La musique et la danse, qui occupaient une place centrale dans les divertissements, étaient condamnées sans grand succès par les religieux au nom de la morale chrétienne.

S’il faut en croire les sources écrites, le marronnage n’a jamais touché les établissements jésuites guyanais. Les esclaves paraissent attachés à ces habitations où ils vivaient, pour la plupart, en famille et depuis très longtemps. Ils y étaient convenablement nourris et bien soignés, ayant parfois acquis des talents appréciés et bénéficiant du secours spirituel de la religion qui les liait et, en même temps, les aliénait aux jésuites.

Jésuite visitant une case dans le quartier des esclaves.

Jésuite visitant une case dans le quartier des esclaves. Dessin Patrice Pellerin.

LES TRAVAUX

Les occupations des esclaves sont multiples et plusieurs exercent des métiers. Ils sont affectés à la production agricole, la sucrerie, l’indigoterie, la poterie, la forge ou la construction et l’entretien des bâtiments, des chemins et de l’aqueduc.

L’inventaire de 1764 mentionne pour Loyola et Mont-Louis : 4 commandeurs ou contremaîtres, 5 charpentiers, 1 menuisier, 4 maçons, 1 couvreur, 1 scieur, 4 forgerons, 1 charron, 2 potiers, 2 sucriers, 2 canotiers, 2 chasseurs/pêcheurs, 2 infirmières et 2 ménagères. Le document mentionne aussi 1 cuisinier, 1 garçon de cuisine, 3 domestiques, 2 blanchisseuses et 1 raccommodeuse. L’entretien du jardin revient à des couples et la garde des animaux est confiée tant à des femmes qu’à des hommes.

Les esclaves constituent une main-d’œuvre qui peut être déplacée d’une habitation à l’autre, louée ou réquisitionnée. Ainsi, entre 1689 et 1691, à l’occasion des grands travaux sur les fortifications de Cayenne, Loyola doit fournir 60 esclaves, qui seront décimés par les accidents et les épidémies.

L’ALIMENTATION

Les terrains de Loyola comportaient d’importantes surfaces réservées aux cultures vivrières : manioc, tayoves, bananes. Comme sur toutes les grandes habitations, l’alimentation végétale était complétée par des protéines animales, pour l’essentiel sous forme de salaisons : morues séchées de Terre-Neuve, viande de lamantin, porc et bœuf en saumure. On peut supposer qu’on élevait aussi de la volaille, souvent mentionnée pour d’autres habitations. Le cheptel fournissait du lait, servi frais, caillé ou transformé en fromage. Si l’on ajoute les produits de la chasse et de la pêche, on peut penser que les esclaves étaient nourris convenablement.

Bien que défendue par le Code noir, la consommation de tafia était courante dans toutes les habitations. Cette boisson était produite à la distillerie de la sucrerie et distribuée en guise d’encouragement et de récompense.